Freud, Lacan et la question du sujet
L’énonciation et l’énoncé
Au théâtre, le sujet de l’énonciation est l’acteur, tandis que le sujet de l’énoncé est le dramaturge. Cette distinction permet de poser un cadre pour penser la place du sujet en psychanalyse. Mais si Lacan a redéfini cette question en termes de structure langagière, Freud, lui, proposait une autre division : celle du principe de plaisir et du principe de réalité.
Dans la théorie freudienne, la formation du sujet, de son jugement et du développement de sa pensée repose sur une différenciation essentielle entre deux types de jugement : le jugement d’attribution (« bon/pas bon ») et le jugement d’existence (« réel/fantasmé ») de l’objet. Cette distinction est fondamentale pour comprendre comment se constitue le rapport du sujet à la réalité.
Certes, le complexe d’Œdipe, l’interdit de l’inceste et la menace de castration ne constituent pas l’origine du monde. Freud, mieux que quiconque, savait que c’est la différence sexuelle qui distingue l’homme de l’animal. Toutefois, son analyse du petit Hans a montré que cette différence sexuelle ne joue aucun rôle déterminant dans la période infantile. C’est l’Œdipe, et lui seul, qui permet de distinguer l’homme civilisé de l’homme barbare, l’homme éduqué du non-éduqué.
La parole freudienne : entre réalité et sublimation
Freud n’a jamais affirmé que le mot pouvait tuer la chose. Au contraire, le mot fait exister la chose, car le signifiant garantit la réalité effective du signifié. En psychanalyse, cette prise en compte du langage implique une responsabilité éthique : le psychanalyste doit s’assurer que le patient suspende toute décision vitale durant la cure. Il devient ainsi garant d’un espace où la parole opère.
Le transfert, moteur de la cure, est aussi son principal obstacle. Freud insiste sur la vigilance nécessaire face à la compulsion de répétition. Le patient se remémore et travaille (durcharbeiten) dans la relation analytique les dynamiques inconscientes de son conflit psychique infantile. Mais s’il rejoue ces conflits dans le transfert à l’analyste ou pire, dans sa vie quotidienne, il y a là un risque majeur. C’est pourquoi Freud s’oppose à une libre expression du transfert, contrairement aux analystes qui l’ont suivi. Freud ne parle jamais d’acting out mais toujours de passage à l’acte (Agieren), lorsque le patient répète inconsciemment un conflit refoulé au lieu de s’en souvenir et de le mettre au travail.
Le dernier poète et la survivance du désir
Freud pose une question troublante dans sa réflexion sur le poète : « Mourra le dernier homme quand mourra le dernier des poètes ». Cette phrase, à la fois équivoque et prophétique, suggère que le poète est le dernier survivant de l’humanité. Son désir persiste là où les autres hommes échouent à sublimer. Le dernier poète sera le dernier homme parce qu’il sera le dernier à désirer.
Cette interrogation freudienne invite à penser le lien entre sublimation et psychopathologie. Le poète, par sa capacité à transformer ses conflits en création, incarne cette ultime résistance face à l’effondrement du désir. Mais alors, quel est le prix de cette position extrême ? Freud nous laisse sur cette énigme, où le destin du sujet se joue entre parole et silence, entre répétition et élaboration, entre vie et mort.
Thierry-Auguste Issachar