Odilon Redon

 

Le mélancolique : point de butée de l’analyste ?

         Sans doute. Dans la clinique, ces patients  sont réputés pour être difficiles voire inanalysables, pourtant ce sont peut-être ceux qui ont le plus à nous apprendre sur le dur métier de vivre et celui d’analyser parce qu’ils nous renvoient à notre propre vide, et mettent à mal le langage.  Car  c’est bien le rapport au signifiant qui semble atteint dans la mélancolie. Un signifiant exsangue qui échoue à donner sens au monde et ne parvient pas à se dialectiser et laisse le sujet face à un vide « hontologique » sidérant. Un manque-à-être, défaut de l’être produisant une honte de vivre.  

         Ce qu’elle ressentait n’avait pas de contours, sa honte n’appartenait plus au monde palpable, observable des choses qui existent. Ce dont elle souffrait faisait partie des choses que l’on ne connait pas. Elle souffrait de ce que l’on ne peut pas savoir. Elle aurait aimé croire en Dieu pour que Dieu se charge de savoir ces choses là à sa place, pour qu’il évacue la question de sa propre existence, pour qu’il trouve un rôle et donne une valeur à sa douleur écrivait Nelly Arcan, peu avant son suicide.

 

         Freud définissait la mélancolie comme « l’ombre de l’objet perdu porté sur le moi », son deuil impossible. André Green la pense comme un narcissisme de mort.  Souhaiter la mort, désirer la mort avec toute la positivité du désir. Paradoxe inextricable : le mélancolique est  fasciné par son manque à être comme Narcisse  par son reflet dont il voudrait s’emparer. Mais voilà le reflet se dérobe comme le signifiant échappe à celui qui parle. Il échoue à dire la Chose, comme l’image à fixer l’objet. Ce dont le mélancolique englué dans sa plainte cherche à se saisir est peut-être tout simplement le signifiant.

         Un mot absence, un mot trou, creusé en son centre d’un trou , de ce trou où tous les autres mots auraient été enterrés disait Duras. En somme, un mot qui contiendrait l’objet perdu et serait capable de le restituer.  Un mot qui n’existe pas sauf à le faire exister, à l’espérer, et auquel le mélancolique croit et pour lequel il est prêt à se supprimer pour avoir le dernier mot. Les morts ont toujours raison disait Nelly Arcan.  

         Le suicide mélancolique serait –il : une question de lettre ?

Une lettre volée, une vie volée mais qui parvient quand même à destination.

         L’artiste (l’écrivain) qui se consume de mélancolie est en même temps le plus acharné à combattre la démission symbolique qui l’enrobe dit justement Julia Kristéva. Comme s’il écrivait à l’encre blanche, des mots qui s’inscrivent sans donner sens et s’épuisent dans leur ressassement.  Le mot est le meurtre de la chose nous dit Lacan mais lorsqu’on renonce à trahir la chose, la tuer demeure la seule façon de rester vivant.

         Autre paradoxe. Se tuer pour donner vie à son œuvre, donner sens à sa vie puisque rien n’y parvient, tel a été sans doute l’aspect performatif du suicide de l’écrivain Nelly Arcan et sans doute de tant d’écrivains atteint du mal de la « bile noire » , dont l’origine semble plus une déficience  du côté de la lettre que de la thymie. Cette dernière venant comme un effet secondaire de la première si l’on en croit de nombreux écrivains.

 

Anouchka d’Anna – Psychanalyste