Droits photo : Association Lacanienne Internationale

 

Je ne fais partie ni des disciples, ni de l’entourage, ni du cercle d’amis de Charles Melman. Mon texte n’est pas un hommage rendu à son œuvre dont je suis bien incapable d’en mesurer la portée, mais un témoignage très personnel de ma rencontre avec Monsieur Charles !

J’ai rencontré Charles Melman il y a tout juste 4 ans. Il avait 87 ans, soit exactement l’âge qu’avait mon père à sa mort (Mon père s’appelait Max comme le PAPA de Charles). Juif comme lui, je l’ai appelé un jour très particulier, le jour du grand Pardon, du Yom Kippour, pour lui proposer de présider, « patronner » mon groupe de travail, un cartel que j’avais formé avec 6 autres collègues, comme si je désirais par cette démarche me réconcilier avec mon propre père avec lequel je suis resté fâché (mon père est parti il y a plus de 10 ans).

Je pensais qu’un homme aussi occupé et aussi sollicité que lui n’accéderait pas à ma demande, qu’il n’aurait pas le temps de me recevoir… Ce fut tout le contraire ! Il m’a proposé de venir le voir, presque en urgence, la semaine qui suivait.

N’ayant jamais mis les pieds dans son cabinet, je me suis posté naïvement devant le grand portail de l’immeuble du 76 rue des Archives et il est venu me surprendre par derrière en me tapotant le dos et en me disant : « Mon cabinet, cher Monsieur, c’est la petite porte… Pas la grande ! ».

J’entre donc par la petite porte. Il me fait un peu patienter, une à deux minutes et m’invite très vite à venir le rejoindre dans la pièce du fond. Là il déplace une chaise de l’autre côté de son bureau et m’invite à s’installer juste en face de lui, à quelques centimètres de son visage, d’homme à homme, les yeux dans les yeux comme s’il voulait savoir, au-delà de ma demande, ce que je pouvais bien avoir dans le pantalon.

Je commence timidement l’échange par une marque de reconnaissance et de respect à son adresse. Je lui dis qu’il était logique de venir voir le « patron » de l’association dont j’allais devenir membre, normal de venir voir une des grandes figures de la psychanalyse quand on avait décidé soi-même de s’installer comme psychanalyste depuis déjà quelque temps…

Je lui expose brièvement le sujet qui sera travaillé au sein du cartel et lui expose deux projets de textes que j’avais dans mes tiroirs : l’un sur les maladies professionnelles du psychanalyste, l’autre, plus en rapport avec le séminaire étudié, sur une question que je me posais à partir d’une citation de Freud sur l’anatomie : « L’anatomie est-ce que c’est le destin ? »

Intéressé par le premier sujet qu’il avait abordé lors d’un de ses séminaires, il me répond en revanche très fermement sur le deuxième :

« Cher Monsieur, vous faites fausse route, l’anatomie n’est pas le destin ! Relisez le petit Hans ou encore la jeune homosexuelle… ». Cet homme avait beau avoir 87 ans, il avait l’âme d’un jeune homme, d’un adolescent révolté avec toujours le couteau entre les dents…

Interloqué, je lui pose alors les questions suivantes : « Mais n’est-ce pas dans la nature même du névrosé de vouloir à tout prix échapper à son destin, à son désir ? N’est-ce pas dans la nature de l’hystérique de faire l’Homme et dans celle de l’obsessionnel de faire la Dame ? L’anatomie ne serait-elle pas finalement le destin, le désir du pervers, soit de vouloir percer, à tout prix, le secret de la différence sexuelle ? Enfin, ne sommes-nous pas finalement conditionnés dans notre jugement par notre névrose justement ? ». Depuis, j’ai appris grâce à lui qu’on ne pouvait parler qu’à partir de son symptôme.

Là, il se lève, passe derrière moi, me tape une nouvelle fois dans le dos et me dit qu’il serait très honoré non pas de suivre mais de participer humblement aux travaux de ce cartel. Il me fixe un premier rendez-vous pour le groupe et me raccompagne vers la sortie par une autre porte sur le côté.

Charles Melman a soutenu notre travail de groupe tout au long de l’année et a abordé avec nous tous les points qui faisaient difficulté dans le séminaire. Lors de la dernière séance, nous lui avons manifesté un désir, je dirais même une audace, de participer en tant qu’intervenants au prestigieux séminaire d’été de son association qui allait se tenir à Lisbonne cette année-là. Il se disait ravi de venir nous écouter même s’il était rare que de jeunes psychanalystes comme nous soient autorisés à exposer leurs travaux face à des praticiens très aguerris…

Plus tard nous avons appris qu’il était personnellement intervenu auprès du bureau de l’Association Lacanienne Internationale pour que nous soyons officiellement inscrits comme intervenants à ce séminaire… Il aurait, nous dit-on, pesé de tout son poids de fondateur pour que ça marche. Nous lui en serons pour toujours très reconnaissants…

Quatre ans plus tard, nous apprenons la mort de ce grand monsieur. Monsieur Charles est parti ! Quelle tristesse… Qu’il repose « enfin » en paix !

Mais Melman, lui ? Et bien lui, il n’est pas mort…

 

Thierry-Auguste Issachar