La mort – Jean-François Millet

 

  • « La mort est du domaine de la foi. Vous avez bien raison de croire que vous allez mourir bien sûr ; ça vous soutient. Si vous n’y croyez pas, est-ce que vous pourriez supporter la vie que vous avez ? Si on n’était pas solidement appuyé sur cette certitude que ça finira, est-ce que vous pourriez supporter cette histoire ; néanmoins ce n’est qu’un acte de foi ; le comble du comble, c’est que vous n’en êtes pas sûr. Pourquoi est-ce qu’il n’y en aurait pas un ou une qui vivrait jusqu’à 150 ans, mais enfin quand même, c’est là que la foi reprend sa force… »Jacques Lacan – Université de Louvain (1972)
  • « Si vis vitam para mortem » : « Si tu veux supporter la vie, prépare la mort » disait Freud (1915) par analogie avec ce vieil adage toujours d’actualité « Si tu veux préserver la paix, prépare la guerre »

 

Personne n’est capable aujourd’hui d’imaginer sa propre mort, ni la prévoir… Personne ne peut donc dans l’absolu y croire ! Alors pourquoi Lacan nous dit que celle-ci est du domaine de la foi ? Pourquoi parler de pulsion de mort, de destruction ou d’autodestruction, si l’homme avait réellement cette certitude qu’un jour ça finirait pour lui ? Il revient alors de conjuguer Lacan à la bonne personne, c’est-à-dire à la troisième.

C’est justement parce que la mort ne me parait pas si certaine qu’il faille absolument que j’y croie, soit poser un acte dans lequel le croyant, que je ne suis pas aujourd’hui, aura finalement affirmé sa foi : j’en suis aujourd’hui bien incapable mais celui que j’aurai été, lui, peut le faire (cet acte se conjugue à la 3ème personne du futur antérieur !).  C’est parce qu’un jour, comme tout le monde, je serai passé de vie à trépas que j’aurai au bout du compte cru à cette mort.

Notre malheur, notre tragédie c’est qu’on n’y croit pas tout à fait, je dirais même pas du tout ! Et c’est cette incroyance qui justement nous condamne, ad vitam, à l’angoisse, c’est-à-dire non pas, comme le pensait Freud, dans une attente vis-à-vis de la mort (angoisse de castration) mais plutôt, comme le dit Lacan, dans une attente de la mort qui, un jour, pourrait venir à manquer (angoisse de jouissance) : la mort a cette vertu de toujours pouvoir être imminente !

La pulsion de mort, introduite par Freud et reprise par Lacan dans les 4 concepts fondamentaux de la psychanalyse, c’est justement ce qui rendrait possible cette jouissance, soit de pouvoir passer à la postérité de son vivant, c’est-à-dire, par exemple, de voir un jour la mort en face des yeux (objet partiel du regard). Le psychanalyste ne peut raisonnablement plus envisager la répétition dans le transfert, le jeu de la « présence-absence », les névroses dites traumatiques ou encore le masochisme, sans cette notion de pulsion de mort…

Même la pulsion de vie que nous décrit Freud ressemble étrangement à cette pulsion de mort mais une pulsion de mort moins violente et sublimée au sens où l’Eros y apparaît plutôt comme un apprivoisement du Thanatos. Pris à tort comme un pansexualisme, le sexuel chez Freud a une fonction éminemment éthique au sens où il vient justement faire baisser la pression, calmer, sublimer ladite pulsion : ne compare-t-on pas la jouissance sexuelle à une petite mort ?

En d’autres mots, seul l’amour, l’Eros, cette pulsion de vie, ou pulsion de mort atténuée, semble réellement nous préparer à la mort, nous y conditionner… Alors pourquoi chercher à vouloir en guérir ? Pourquoi la fin du transfert, ce moteur de la cure psychanalytique, signe la fin de ladite cure ?

 

Thierry-Auguste Issachar