L’homme s’enferme dans une stupeur paralysante, dans un spasme puissant. Il est oppressé, il suffoque et se trouve maintenu dans l’immobilité. Il sent comme un poids sur la poitrine qui l’empêche de respirer. Des formes spectrales, sépulcrales lui apparaissent, voire viennent le hanter… Puis il finit par se réveiller brusquement. Tel est le témoignage vivant de son cauchemar !
Il s’interroge : quel homme serait-il s’il n’avait aucune inhibition, s’il se vautrait ouvertement dans la débauche, la sexualité et le relâchement de ses sphincters. Dans quel monde vivrait-il si tous les endroits qu’il fréquente se transformaient en lieux d’aisance, s’il n’y avait absolument plus de malaise dans la culture : le cauchemar serait réel et il deviendrait lui-même un monstre absolu !
Freud et Jones insistent sur les conséquences fâcheuses qui pourraient se produire quand le rêve est pris pour la réalité ou pris comme un souvenir réel du sujet.
L’interprétation du rêve se limitait avant Freud à l’étude de leur contenu superficiel. Freud a découvert que derrière ce contenu manifeste se cachait un contenu latent, un souhait infantile refoulé à caractère sexuel et de nature incestueuse. L’objet du désir est toujours une personne que la morale exclut de la sphère érotique. Ainsi, la représentation du souhait sous-jacent n’est pas permise sous sa forme originale. Les personnages sont toujours transformés, métamorphosés comme dans les mythes.
Le cauchemar, lui, est un bestiaire et en cela, comme le dit Jones, il se distingue des rêves, et notamment des rêves d’angoisse. La croyance aux démons, aux incubes, aux succubes, aux sorcières, aux vampires et aux loups-garous trouve leur origine dans cette terreur nocturne. Et il existe tous les degrés possibles entre une excitation voluptueuse et une répulsion, voire une horreur extrême…
En Occident, la médecine, d’abord au service de l’Eglise puis de la Science, va donner une origine biologique puis psychologique à ces pollutions du sommeil. Ainsi la croyance aux incubes chez les femmes, ou aux succubes chez les hommes, va devenir le pur produit d’une imagination délirante, une pure fantaisie, une érotomanie, voire un alibi pour certains dévots, débauchés, pris en flagrant délit et qui cherchent à dissimuler leur crime.
A ce culte de l’incube, la médecine va donc lui opposer celui de l’incubation qui n’est autre que le temps qu’il faudrait à chacun de ces sujets pour projeter la culpabilité liée à leurs désirs refoulés sur celui qui aura incarné cet incube. Pendant des siècles, dixit Jones, cet incube portait l’habit clérical et sévissait surtout dans les cloîtres où de nombreuses visites épidémiques y ont été rapportées. Aujourd’hui, il porterait plutôt une blouse blanche dans l’enceinte d’un hôpital.
La plus grande ruse du diable est de nous faire croire qu’il n’existe pas, comme si les démons (incubes ou succubes), les vampires, les ogres ou les sorcières avaient disparu alors qu’ils n’ont juste pris qu’un nom d’emprunt !
Le diable se loge toujours dans les détails. C’est la raison pour laquelle le psychanalyste ne va traiter que des éléments les plus insignifiants de l’espèce humaine : les rêves, les lapsus, les mots d’esprit, les actes manqués et plus généralement tout ce qui peut jaillir, surgir par surprise dans la vie quotidienne. Il va surtout débusquer tout ce qui s’apparente à de la superstition. En d’autres mots, il va prendre cette dernière très au sérieux quand elle se manifeste dans la parole de ses patients !
Le « bon Dieu » ne serait-il pas la forme la plus sévère et la plus tyrannique du Diable ? Aujourd’hui, alors que ce surmoi semble avoir disparu, il faut d’autant plus s’en méfier !
Le psychanalyste n’est pas un thérapeute, un bon samaritain prêt à accueillir la misère du monde (même s’il se la coltine comme dit Lacan), à soulager la souffrance, à apaiser l’angoisse, voire à partager la douleur de son prochain. Il est justement là pour débusquer toutes ces « bondieuseries » qui nous tyrannisent tous sans le savoir.
Ainsi pourquoi le cauchemar est-il si instructif pour la psychanalyse ?
Tout comme le rêve est la voie royale qui mène à l’inconscient et à la réalisation du désir qui s’y refoule… Le cauchemar, lui, ne l’est-il pas pour le surmoi et à l’angoisse de castration qui s’y forclos ?
Certes, le rêve garde notre sommeil… Mais l’insomnie, elle, ne volerait-elle ou ne voilerait-elle pas notre cauchemar ? L’interprétation du cauchemar par le psychanalyste obéit-elle aux mêmes règles que celles utilisées pour analyser le rêve, soit la métaphore et la métonymie ? Notre inconscient est structuré comme un langage mais notre conscience surmoïque, elle, par quoi est-elle structurée ? Et enfin, la notion de rêve de Freud n’était-il pas en réalité un cauchemar ?
Ces questions en suspens sont autant de terres à défricher, je dirais même à déchiffrer pour la psychanalyse… Et Il faudra rendre hommage à Jones et Lacan qui en furent les premiers conquistadors !
Thierry-Auguste Issachar