Kierkegaard nous prévient : si l’on comprend le christianisme, il n’y a plus de christianisme. Ce dernier est paradoxe. Il n’a de consistance que dans l’incompréhensible. Il en va de même pour la psychanalyse : dès lors qu’on croit la maîtriser, qu’on la réduit à une technique d’interprétation ou d’objectivation, elle disparaît comme expérience.
Le ne explétif, cet ornement du subjonctif, dit déjà tout : il ne sert à rien, mais il signale l’entrée du sujet dans le régime du désir, de la dépendance, du conditionnel. Ce n’est pas l’action qui l’emporte, mais l’interprétation ; ce n’est pas le réel, mais le fantasme. La vérité du sujet se loge toujours du côté de ce qui n’arrive pas : ce qui est rêvé, ce qui est manqué, ce qui est raté.
Freud le savait : le rêve peut mentir. Ce fut un scandale. Relire « la jeune homosexuelle », c’est comprendre que tout rêve n’est pas vérité. Il y a des rêves mensongers, des rêves de convenance, des rêves qui trompent. Et pourtant, Freud n’en déduit pas une crise de la psychanalyse. Car si le rêve ment, l’inconscient, lui, ne ment jamais. Voilà le cœur du problème : ce noyau de vérité irréductible, que ni la morale, ni la loi, ni la parole ne peuvent totalement recouvrir. Il n’est pas que le sujet peut tromper, c’est que quelque chose, en lui, ne veut pas être sauvé.
Le diable ne se baptise pas. Il refuse la loi, refuse le langage, refuse l’Autre. Et c’est en cela qu’il nous concerne, profondément. Ce que veut le diable — ce que veut Biondetta dans Le diable amoureux de Cazotte —, reste opaque. Le fantasme ne se traverse pas, ou du moins, la traversée échoue toujours sur un mur, sur ce que Lacan appelait le Réel : ce point de non-retour, traumatique, irrécupérable par le symbolique.
On croit pouvoir extirper le fantasme ? C’est impossible. Il est inextirpable précisément parce qu’il est structurant. Il est notre manière d’habiter le monde, de l’esquiver, de le plier à notre jouissance. Lacan parle de « jouissance Autre » : un mode de jouir qui n’est ni moral, ni utile, ni civilisé. Une jouissance sans loi. Et vouloir la dompter, c’est comme vouloir vider la mer — ou la Mère — avec une petite cuillère.
Freud l’avait senti. Il avait mis en garde Romain Rolland contre ce qu’il appelait le « sentiment océanique ». Cet appel mystique à la fusion, à l’abolition du sujet. Ce sentiment-là ne se traverse pas. Il nous engloutit. Et c’est justement parce que ce danger est réel que la psychanalyse est une science. Non pas une science du contrôle, mais une science de la digue, de l’endiguement.
Là où la mystique veut se fondre dans l’infini, la psychanalyse érige une frontière. Elle ne nie surtout pas l’océan du fantasme : elle le borde ! Freud se voulait explorateur d’une terre, pas d’une mer, d’une mer sans littoral. Et pourtant, dans notre monde contemporain, la mer a débordé. Le fantasme s’étale. La mystique revient, travestie en liberté intérieure, en développement personnel, en illusion de transparence.
La psychanalyse, quant à elle, rappelle que le fantasme est un mensonge nécessaire, et que le réel est ce qui ne peut se dire. C’est dans cette tension — entre ce qui se rêve et ce qui résiste à l’interprétation — que se joue le destin du sujet. Le diable ne se baptise pas, et c’est tant mieux. Car c’est de cette résistance que naît, encore et toujours, le tragique de l’existence.
Thierry-Auguste Issachar